Instrument de convergence et de compétitivité

Steffen Stierle (Attac Germany), avril 2013

Fin mars 2013, la Commission européenne a présenté deux communications qui s’inscrivent dans le prolongement des négociations politiques du Conseil européen et contiennent des propositions concrètes de mise en œuvre. Le premier document porte sur une future coordination préalable des réformes des politiques économiques, le second est consacré à l’instrument de convergence et de compétitivité (ICC) /1/. C’est sur ce dernier document que se penche la présente évaluation.

Le concept d’ICC concrétise l’idée précédemment débattue sous les noms de contrats de réformes bilatéraux, d’arrangements de nature contractuelle ou de pacte de compétitivité. Dans ce qui suit, nous replaçons cette concrétisation dans le contexte des débats politiques menés sur l’approfondissement de l’union économique et monétaire, nous en exposons le contenu et nous l’évaluons.

Intégration à l’« approfondissement de l’union économique et monétaire »

Dès le mois de juin 2012, les Big Four /2/ avaient remis leurs propositions d’approfondissement de l’union économique et monétaire au Conseil européen dans un document intitulé Vers une véritable union économique et monétaire /3/. Ils y présentaient toute une série de propositions de réformes de la gouvernance de l’UE, dont l’enjeu était la création d’une union budgétaire, économique et bancaire. L’une des propositions portait sur l’introduction de contrats bilatéraux entre les différents pays de la zone euro et la Commission européenne, et dans lesquels les États membres s’engageraient à mettre en œuvre diverses réformes structurelles.

Après la présentation du document des Big Four, le Conseil a décidé que Van Rompuy réexaminerait les propositions de réforme à la lumière des critiques formulées par les États membres et en présenterait une nouvelle version en décembre 2012. De nombreuses propositions ont été modifiées dans le cadre de ce processus de révision, mais l’idée des contrats bilatéraux a été conservée /4/.

Lors du sommet de décembre 2012, le Conseil européen a alors fixé, sur la base de la version révisée du document Van Rompuy, des priorités pour les prochaines étapes du processus de réforme. En matière de politique économique /5/, le document prévoit que deux idées seront développées au premier semestre : les mécanismes de coordination préalable des réformes de politique économique et les contrats de réformes bilatéraux, éventuellement en liaison avec des mécanismes de solidarité /6/. La Commission a été chargée d’élaborer des concepts concrets sur ces points prioritaires en vue de l’adoption d’une décision en juin 2013 /7/.

En janvier 2013, à l’occasion de son intervention devant le Forum économique de Davos, la chancelière Angela Merkel a soumis au débat les conceptions du gouvernement fédéral sur la forme à donner aux contrats bilatéraux /8/. Elle a forgé le terme de pacte de compétitivité, illustrant son contenu par les exemples d’une baisse des coûts salariaux et d’une augmentation de l’efficacité des administrations. Angela Merkel a également laissé entendre que ces contrats devraient avoir vocation à mettre en œuvre des réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité de la zone euro dans son ensemble /9/

La proposition de la Commission européenne

Dans le contexte de l’évolution politique dont les grandes lignes viennent d’être esquissées, la Commission a présenté fin mars 2013 sa conception d’un « instrument de convergence et de compétitivité » (ICC), proposant d’associer des contrats bilatéraux et des mécanismes dits « de solidarité ».

Les contrats seront signés entre les différents pays de la zone euro et l’UE. Leur contenu s’inspirera des recommandations faites aux différents pays par le Semestre européen et portera surtout sur des réformes pertinentes pour l’ensemble de l’union monétaire. La Commission avance comme argument que la crise a montré que les réformes nécessaires dans certains États membres ont souvent été mises en œuvre trop lentement, voire pas du tout, et que cela a des retombées négatives sur les autres pays. L’ICC vise désormais à intégrer la dimension européenne des réformes de politique économique et à permettre aux États membres d’appliquer plus rapidement ces réformes. En substance, il s’agit de réformes visant à améliorer la compétitivité, et mettant donc l’accent sur la déréglementation des marchés du travail et des produits. Un autre enjeu sera de faire en sorte que les dépenses publiques soient plus axées sur la compétitivité /10/.

En ce qui concerne le périmètre de cet instrument, la Commission propose deux options au Conseil : 1) une limitation à la zone euro ; 2) une ouverture aux autres pays de l’UE. Elle propose également différentes options pour la question de savoir quand l’ICC devrait être activé : 1) un recours facultatif, à la demande d’un gouvernement ; 2) lorsqu’un État membre participant est soumis à la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques ; 3) sur décision de la Commission.

En cas d’utilisation de l’ICC, l’État membre concerné devra dans un premier temps présenter un programme de réformes tenant compte des recommandations faites dans le cadre du Semestre européen. La procédure prévoit ensuite que ce programme débouchera sur un contrat obligatoire fixant un calendrier concret pour la mise en œuvre des réformes. Ce contrat serait négocié entre l’État membre concerné et la Commission et adopté par le Conseil.

Le mécanisme de solidarité également proposé doit constituer une incitation financière à la signature et à la mise en œuvre rapide des contrats. L’UE débloquera des moyens financiers, prenant ainsi en charge une partie des coûts des réformes. Il s’agira par exemple du financement de la formation professionnelle ou de mesures améliorant l’efficacité de la politique active en matière de marché du travail /11/.

Pour les moyens financiers, la Commission propose la création d’un nouveau poste, qui sera inclus dans le budget de l’UE, mais restera extérieur au cadre financier pluriannuel. En ce qui concerne le volume, la Commission laisse seulement entendre qu’il sera, dans un premier temps, limité, mais qu’il pourra augmenter au fil du temps si l’ICC s’avère être un moyen efficace de faire avancer les réformes. La Commission envisage de faire alimenter le budget par les contributions des pays participants, qui seront calculées sur la base d’une clé reposant sur leur performance économique.

Une fois le contrat conclu, la Commission surveillera que le contenu est respecté. Si les États membres ne respectent pas leurs engagements contractuels, ils recevront dans un premier temps un avertissement. Lors d’une deuxième étape, il sera également possible de suspendre le paiement des fonds débloqués ou d’exiger la restitution des sommes déjà versées. La Commission montre clairement que le soutien financier sera très étroitement lié au respect des conditions fixées dans les contrats /12/.

Les critiques à l’encontre de l’instrument de convergence et de compétitivité

L’ICC et le pacte de compétitivité marquent l’entrée dans une nouvelle phase de la transformation néolibérale et autoritaire de l’UE. Alors que jusqu’à présent, la néolibéralisation et le recul de la démocratie en matière de politique budgétaire étaient les points principaux à l’ordre du jour, priorité est maintenant accordée à la politique économique. Comme le pacte budgétaire ou le MES pour la politique budgétaire, le pacte de compétitivité contient, en ce qui concerne la politique économique, ces deux dimensions : la néolibéralisation et le recul de la démocratie.

La néolibéralisation résulte du contenu des contrats. Ils ont pour but des réformes structurelles qui sacrifient les normes salariales, les droits des salariés (protection contre le licenciement, salaires minimum, etc.), mais aussi les normes écologiques, à la compétitivité. On peut étudier cette orientation en observant la pratique menée jusqu’à présent par le Semestre européen, qui est entré en vigueur dès 2011 et qui jouera un rôle important dans la conception du contenu des contrats.

Le recul de la démocratie résulte d’une réduction de la marge de manœuvre des parlements nationaux en matière de politique économique. Les contrats seront négociés par les gouvernements, la Commission et le Conseil. La Commission propose certes d’associer aussi les parlements, mais elle reste vague quant aux modalités d’une telle participation. Au final, les parlements n’auront probablement que la possibilité de dire oui ou non aux contrats, sans être associés à la conception du contenu. Cette décision oui/non sera par ailleurs faussée par le mécanisme de solidarité. Les parlements se prononcent non seulement sur le contenu des contrats, mais, en même temps sur l’acceptation ou le refus des moyens financiers de l’UE /13/.

Cela créera dans l’ensemble de la zone euro un mécanisme qui ressemble beaucoup à la politique des mémorandums menée notamment à l’encontre de la Grèce et du Portugal par la troïka dans le cadre du MES. L’UE conditionnera la mise à disposition de ses fonds à la réalisation d’un programme de réformes néolibéral.

On ignore pourtant si le Parlement européen (PE) jouera un rôle. La Commission propose d’inscrire les contrats dans le droit secondaire européen, tandis que le gouvernement fédéral plaide en faveur d’une solution de droit international, c’est-à-dire similaire à celle retenue pour le pacte budgétaire, et donc pour des contrats conclus en dehors du droit européen. Le modèle de la Commission exigerait une participation du PE, tandis que celui du gouvernement fédéral contournerait ce dernier. C’est probablement le gouvernement fédéral qui s’imposera. Cette supposition est étayée à la fois par l’expérience des négociations récentes sur les réformes au sein de l’UE et sur le fait qu’il n’existe pas dans le droit européen de base vraiment solide pour les contrats prévus /14/.

Une troisième critique essentielle porte sur la stratégie agressive en matière de commerce mondial ancrée dans l’ICC. À Davos, Angela Merkel a dit clairement que l’enjeu était la préservation de notre prospérité par l’expansion du marché mondial. Une orientation stricte sur la compétitivité et le commerce extérieur, selon le modèle allemand, a pour objectif de créer des entreprises européennes performantes au niveau mondial, qui gagnent des parts du marché mondial. D’une part, ce modèle n’est pas en mesure de préserver notre prospérité, mais seulement celle de nos élites. L’augmentation de la compétitivité se paiera en fin de compte par une baisse des salaires et des normes sociales. D’autre part, cette préservation de la prospérité des élites se fera aux dépens du reste du monde, car, bien entendu, la pression sur les économies et les niveaux de vie ailleurs dans le monde augmentera /15/.

1 COM 2013(165); COM 2013(166).
2 Les « Big Four » : Herman Van Rompuy (Conseil européen), Manuel Barroso (Commission européenne), Mario Draghi (BCE), Jean Claude Juncker (alors président de l’Eurogroupe).
3 EUCO 120/12
4 Cf. la note « Auswertung Fiskalunion » (St. Stierle / J. Mileva, 19 octobre 2012), p. 3 et suiv.
5 Le document sort du cadre strict de la politique économique et vise pour le premier semestre 2013 essentiellement des progrès dans le domaine de l’union bancaire.
6 Les mécanismes de solidarité avaient été précédemment discutés sous le titre « Capacité budgétaire de la zone euro ».
7 Conclusions du sommet de décembre, EUCO 205/12, p. 5.
8 Le discours (en allemand) est disponible en ligne: http://www.bundesregierung.de/ContentArchiv/DE/Archiv17/Reden/2013/01/2013-01-24-merkel-davos.html.
9 Pour plus d’informations, se reporter au commentaire « Pakt für Wettbewerbsfähigkeit » (A. Ulrich / St. Stierle): Pakt für Wettbewerbsfähigkeit“.
10 Cela signifiera une réduction des investissements dans les systèmes sociaux et l’emploi public au profit de la recherche, de l’éducation et de la formation.
11 En l’absence d’accord, il n’y aura pas de contrat et donc pas de soutien financier aux réformes.
12 En outre, des dispositions seront prises pour éviter qu’un État annule plus tard les réformes adoptées.
13 En période de difficultés économiques, les États membres seront pratiquement dans l’impossibilité de refuser les contrats.
14 Pour des précisions sur les possibilités juridiques, voir: Vom neuen, über den autoritären zum progressiven Konstitutionalismus (L. Oberndorfer, in: juridikum 1/2013).
15 Cf. notamment le discours de Davos de la chancelière Angela Merkel.

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